« Après le plaisir de posséder des livres, il n'en est guère de plus doux que celui d'en parler. » Charles Nodier

"On devient bibliophile sur le champ de bataille, au feu des achats, au contact journalier des bibliophiles, des libraires et des livres."
Henri Beraldi, 1897.

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vendredi 12 septembre 2014

Le poids du Livre et l'insoutenable légèreté d'internet

Amis Bibliophiles bonjour,
 
Véloce et en permanence disponible, internet est devenu l’Hermès de nos sociétés. Il semble de toute évidence très léger et facile d’utilisation notamment face au poids du livre ( à moins que cette pesanteur ne vienne que des habitudes des bibliophiles ?).  Lieu sans lieu où tout se vend en quelques clics, il] est donc tentant, même pour le bibliophile d’être présent sur la toile pour acheter ou vendre nos précieux livres.
 
 
C’est précisément là où le bât blesse : je me suis trahi. J’ai parlé de « précieux livre ». Or, sur internet, le terme « précieux » est synonyme de « commercial » et n’a aucune connotation affective, alors que se séparer d’un livre équivaut, pour le bibliophile, à amputer une partie intime de lui-même. Car un livre a un poids et une épaisseur psychologiques qui échappent à la balance commerciale.
 
En cas d’achat, le bibliophile, traquant l’exemplaire unique( celui qui précisément fait le « poids » ou valeur de son livre) peut-il trouver son compte sur internet? Le simple fait de l’ouverture au monde entier du marché du livre, met en présence plusieurs exemplaires du même livre, peut-être tous numérotés, signés, etc., - ce qui rend moins « unique » et plus rapide d’accès l’objet de la chasse bibliophile … 
 
Si on outrepasse ces sérieux handicaps et qu’on se risque quand même à l’achat d’un livre, se dresse soudain toute la barrière des doutes: cette proposition toute virtuelle, légère, dématérialisée, correspond-t-elle à la réalité qui m’intéresse? Ce livre existe-t-il vraiment? Est-il conforme à sa description? Cette distorsion entre le livre présenté et sa réalité est un vrai problème. Sans parler de la possibilité du faux livre qui fait dire au journal DailyBeast que ces site sont « le paradis pour les faussaires ». De plus, après avoir payé, recevrai-je le livre et pourrai-je le renvoyer si je suis déçu?
 
De toute évidence, ces deux mondes ne sont pas faits pour s’entendre.
 
Peut-être demande-t-on trop vite aux gens qui s’intéressent aux livres de changer leurs habitudes? Il est tout à fait étonnant de voir la différence de comportement entre les acheteurs d’œuvres d’art comme les tableaux, les photographies, la sculpture…et les acheteurs de livres de bibliophilie, d’autant plus que le risque financier n’est pas le même. Une étude réalisée par la société d’assurance Hiscox  sur le marché de l’Art en ligne sur les douze derniers mois a révélé que 61% des acheteurs ont acquis des tableaux originaux (dont 10% ont déboursé une moyenne de 50 000 €). Le marché de l’Art en ligne est estimé à 1,57 milliards de dollars et devrait doubler d’ici 5 ans.
 
À l’évidence, les bibliophiles sont plus frileux sur internet. On peut se dire que l’achat d’un tableau se fait plus facilement, qu’un coup d’œil plus ou moins approfondi mais vite séduit suffit, alors qu’il faut plus de connaissances pour choisir un livre rare. Mais s’il s’agissait simplement d’un virage que nous tous, bibliophiles, libraires, experts, commissaires-priseurs et autres, n’avons pas su aborder, habitués comme nous le sommes à une vente de confiance d’une personne à une autre,  garantie par l’expertise du vendeur-libraire que l’on connaît bien, la plupart du temps ?
 
Si on ajoute que pour le bibliophile dont le plaisir est la recherche du livre, ce qui augmente le  « poids» du livre est l’affectivité qui se noue entre un bibliophile et son livre. La relation entre le bibliophile et le livre se construit : c’est ce qui fait qu’elle est toujours forte («lourde») Or, on peut trouver très vite ce que l’on cherche, sur internet ce qui fait que cette immédiateté de la trouvaille diminue ou détruit le plaisir…On peut continuer à l’infini et trouver de bonnes raisons de ne pas faire un pas vers l’autre
 
La bibliophilie doit continuer à avancer et sortir de l’ombre pour traverser les nouvelles technologies et affirmer sa présence et sa vitalité. Le modeste rôle des éditions Ipagine est d’amener le plus de personnes possible à la bibliophile et faire se rencontrer deux mondes qui semblent s’opposer.
 
Du haut de mon ignorance, je lance un appel: y a t-il un organisme, un groupe de réflexion, qui s’est déjà demandé comment faire pour qu’internet soit un tremplin pour la bibliophilie ?
 
Des idées?
 
Patrice
 
patrice@ipagine.com

14 commentaires:

Anonyme a dit…

En province je crois que sans internet il n'y aurait plus une librairie ancienne. Internet est déjà un tremplin, une catapulte, un poids lourds. A part quelques rares libraires d'ancien aux emplacements exceptionnels, quel libraire fait plus de chiffre en boutique que par internet aujourd'hui ? Et les clients réguliers que le libraire connait ensuite sur RV ou en boutique, il les a rencontrés où ? Souvent via une première vente sur le net. Avec ebay ou des Meta moteurs comme addall , qui regroupe 20000 libraires un livre a une visibilité mondiale en quoi cela serait gênant ?. Il n’y a pas plus de risque à ce jour a acheté un livre sur le net que chez un libraire, (dans la majorité des cas c’est un libraire qui le vend sur le net) vous avez souvent de nombreuses photos objectives et vous pouvez retourner le livre sans vous justifier comme dans toute vente par correspondance. Ce sont très souvent les mêmes vendeurs qui ont librairies physiques et librairies virtuelles. Bien sûr il faut choisir son vendeur sur le net comme il faut choisir son libraire. Le net, en enlevant peut être une partie d'affectif apporte sans aucun doute une plus grande objectivité dans l'estimation du prix, et favorise le grand écart. Les livres de qualité moyenne baissent mais les exceptions augmentent en prix. J’ai l’impression que le net a grandement démocratisé la bibliophilie et qu’un amoureux du livre peut maintenant s’acheter une édition originale du XVIIIe reliée en veau pour quelques centaine d’euros parfois moins. Avant l’existence du net aurait-il osé entrer dans une grande librairie pour le faire ?? Ne l’aurait-il pas payé trop cher ?? Est cela qui perturbe les grands bibliophiles et certains libraires ? Les bains de mers sont moins agréables depuis 1936, quelle populace ;)). Bien sûr pour les « hauts » bibliophiles (ayant des moyens suffisants) qui chassent uniquement les exemplaires parfaits en maroquin et de préférence de grandes provenances, le marché a sans doute fort peu changé depuis deux siècles, qu’internet soit là ou pas, mais c’est un mini micromarché de poche réservé à une élite financière, et dans ce cas ce sera toujours le plus passionné ou le plus riche qui emportera le livre, souvent en salle des ventes.
Quant à la phrase « le livre a un poids et une épaisseur psychologique qui échappe à la balance commerciale », elle est assez dangereuse, le rôle du libraire, de l’expert n’est-il pas de fixer un prix objectif du livre en fonction seulement de ses qualités intrinsèques et éventuellement du marché mais sans affecte. Est-ce bien raisonnable de payer un n° un du voyage au bout de la nuit de Céline broché plus de 50000 euros, alors qu’une originale de Hugo avec envoi se vends 1500 euros. Dans ce cas nous voyons bien que le prix est plus lié au marché et à la mode de l’auteur qu’à la valeur intrinsèque du livre.
Votre appel arrive bien en arrière garde, internet est déjà un formidable tremplin pour la démocratisation de la bibliophilie et l’accès au plus grand nombre à l’ « amour du livre », mais également un formidable outil pour rencontrer physiquement les grands bibliophiles qui chassent partout donc sur le net!....

Un libraire sur le net et en librairie sur RV.

Anonyme a dit…

Cher libraire,

merci de votre réaction. Je suis d'accord avec tout ce que vous dites. Enfin presque...un "libraire" sur le net ne m'a toujours pas remboursé un livre acheté et payé, mais renvoyé depuis plus d'un an...L'écran crée un anonymat protecteur pour les petits malins. Là n'est pas mon propos.
Vous décrivez très bien l'effet trampoline de la toile, mais c'est un fait acquis dont personne ne se plaint. Et vous avez fondamentalement raison quant à la démocratisation de la bibliophilie grâce à internet.
Je me pose simplement des questions pour l'avenir de la bibliophilie sur le net et , constatant l'énorme différence entre l'explosion des ventes des oeuvres d'art et le sérieux qui entoure ces ventes, ma question est : le livre est-il trop peu intéressant, avons-nous raté une marche essentielle, est-ce trop tard pour réagir?
Bref j'espère que des "gens du métier" se sont posé des questions et se sont organisés pour transformer ce trampoline en véritable tremplin (olympique?)
Bien cordialement

Patrice

Anonyme a dit…

"Explosion des ventes d’œuvres d'art et Sérieux qui entoure ces ventes" S’il y a bien un marché hyper spéculatif et totalement artificiel qui manque vraiment de sérieux c'est le marché de l'art contemporain, est-il vraiment souhaitable que le marché du livre de bibliophilie suive ce modèle ? Que les prix des livres soient définis artificiellement par des précepteurs du bon gout dont le but est seulement de créer des bulles spéculatives, sans liaison avec la valeur réelle de l'oeuvre ?? Toute bulle spéculative est appelée à se percer un jour, par exemple les Elzeviers, qui, à la mode au XIXe pour quelques mm de marges en plus, se vendaient plus cher que des très rares incunables, à des prix sans rapport avec leur réelle valeur et rareté, combien se vendent ils aujourd’hui ? Heureux le bibliophile en dehors des modes…

Cordialement
le même libraire

Anonyme a dit…

Très vite ce que l'on cherche sur internet? donc une quête moins grande du plaisir? Pas toujours vrai: depuis bientôt cinq ans et malgré de fréquentes incursions sur les moteurs de recherche, un livre de 1904 se dérobe encore et encore à ma flamme ardente!

Anonyme a dit…

Si le livre de 1904 est celui auquel je pense, je crains qu'Internet ne soit pas d'un grand secours pour trouver l'extase. (Mais des livres presque introuvables de 1904, il doit bien en exister d'autres.)

Anonyme a dit…

Livre de 1904... Je cherche, je cherche, je ne vois pas... Je vais aller voir... sur le net ;-) A défaut d'un exemplaire je saurai ce que vous évoquez ! La bibliophilie c'est aussi (surtout ?) de la connaissance et là, le web est sans conteste un bel outil !

Anonyme a dit…

Voici la réponse: "le jardin parfumé" de Nefzaoui réédité en 1904 par Charles Hirsch avec une suite de 10 eaux-fortes de Martin Van Maele. Avec toutes mes félicitations pour l'auteur du cinquième message.
Bonne soirée à tous et toutes!

Olivier a dit…

Bah,
Ce débat est vieux comme ce blog. Je crois qu'internet est formidable pour les bibliophiles comme pour les libraires.
Après sans librair(i)es physiques, comment débuter?

Quant à la valeur des livres pour la très haute bibliophilie il semble que ce soit un placement de père de famille à lire un article du Monde consacré à la foire de Bâle... (en passant visiblement il y a une dizaine de Pilone qui ressortent du bois...).

Olivier

Anonyme a dit…

L'auteur du cinquième message s'est gouré mais lui aussi cherche un livre presque introuvable de 1904 — pour lequel certains libraires sont certainement d'un plus grand secours qu'Internet. Voilà. Bonne quête à l'auteur du septième message. (Enfin, cette édition de Nefzaoui est cataloguée à l'Enfer, au moins.)

L'auteur du cinquième message.

Patrick a dit…

les anonymes devraient quand même signer leur commentaire au moins d'un pseudonyme pour qu'on puisse les repérer sans qu'on soit obligé de rechercher le numéro du message.
j'ai vu des articles qui suscitaient des dizaines de commentaires : rendez vous compte du travail pour voir à quel numéro répond tel autre !
Bien cordialement à tous
Patrick. C.

Hugues a dit…

C'est vrai qu'il serait utile que vous signiez vos commentaires, ne serait-ce que pour rendre la discussion intelligible.
Hugues

Unknown a dit…

Bonjour,

Anonyme.. (?) faisait à juste titre une comparaison entre le marché de l'art contemporain et celui du livre ancien.

Je rebondirai sur ce sujet, en déviant légèrement, sur la question du "qui fixe les prix d'un livre ?".

A cette question je ne peux aussi que renvoyer à l'un des premiers messages relatif à la rentabilité des librairies "physiques". (il y a de moins en moins de librairies de livres anciens, c'est un fait)

Qui fixe les prix ? le libraire de toute évidence. En fonction de l'originalité du livre et tant d'autres critères j'imagine.

Mais, ce prix est-il juste ?
Non! Car le prix d'un livre en librairie sera 3 si ce n'est 4 fois plus élevé que sur internet. Pour quelles raisons ?

La première serait de dire que le libraire qui s'est informatisé, qui est en ligne, a su adapter ses prix en fonction d'une large et (quasi)inépuisable clientèle (moins de rente sur l'achat/revente d'un livre mais plus de ventes, plus de profits )

La seconde est l'ouverture du marché numérique, depuis plus de dix ans, aux amateurs du livre qui ne cherchent qu'une rentabilité du livre.

Dès lors, et contrairement à l'art contemporain, c'est le marché qui fixe les prix. Exception faite pour les livres d'exceptions.

Selon moi cette dévaluation du prix du livre ancien est une bonne chose. Elle permet l'accès aux livres, au partage de la culture c'est-à-dire l'essence même d'un livre, et peu importe son millésime.

bien à vous ;)

calamar a dit…

pour que le parallèle soit complet il faudrait rajouter 2 notions : la notion de multiple, tout de même le plus souvent à la base du livre. Du coup il faudrait le comparer non aux toiles, mais plutôt aux estampes.
Et aussi la notion de production contemporaine : il faudrait comparer les livres publiés aujourd'hui, à l'art contemporain, et les livres "plus anciens", à l'art en général.
On trouverait peut-être beaucoup moins de différences entre ces marchés. Il ne me semble pas que le marché des estampes, hors pièces exceptionnelles, soit si différent (financièrement) du marché du livre.

Anonyme a dit…

c'est vrai ,cher calamar,mais pour affiner le parallèle, j'ai eu tord de ne pas noter d'autres résultats de l'étude Hiscox, 55% des acheteurs se sont intéressés aux éditions à tirage limité mais les sommes mises en jeux n'atteignaient pas les prix des tableaux originaux (à propos de tableaux originaux, je signale qu'il ne s'agissait pas que de tableaux contemporains, il y avait aussi des tableaux anciens). La comparaison avec les estampes semble effectivement plus juste. Enfin, pour en terminer avec cette étude concernant les oeuvres d'art, signalons que 63% des acheteurs sur les sites dédiés ont MOINS de 35 ans! L'âge moyen de l'acheteur de livres anciens ou rares sur internet serait intéressant à connaître car c'est certainement un facteur différentiel (je parierais volontiers que l'acheteur de livres est plus âgé sur internet) Peut-être faudrait-il faire un sondage auprès des libraires qui vendent sur le net?
cordialement

Patrice

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